Dessiner un homme...

Bien installé dans mon siège, éclairé par la liseuse, je me laisse bercer par les grincements des voitures sur les rails, à grande vitesse. Mon esprit divague au gré du paysage qui défile dans ses habits printaniers devant ma fenêtre. Que puis-je faire pour tuer le temps de ce trajet qui me ramène à la maison auprès de ma chère épouse et de nos filles ? Elles sont six à m'attendre, sans compter notre aînée... Je fais un métier d'homme, mais je vis au milieu d'un bataillon d'Amazones... 

Il me prends soudain une envie folle: créer un homme ! Pourquoi cette envie brutale ? Je ne n'en sais rien, mais ce sera un homme, pas une femme ! Pourquoi ? 

Puisqu'il faut répondre à la question, je cherche une réponse. Je ne suis pas un artiste....   Ni démiurge, ni peintre, ni sculpteur, je manie mieux l'explosif et la tronçonneuse que le pinceau ou le ciseau à bois ! 

Alors pourquoi ? 

Un homme, je crois, c'est moins difficile à dessiner.... Personne ne vous reprochera d'y aller à grand traits ! Il ne faut point trop de finesse en effet. Car un homme se doit d'être grand et fort ! Massif, il doit inspirer la crainte, imposer le respect. Si son visage est trop carré, on lui accordera crédit, si ses bras sont trop épais, on y verra le muscle... Il faut pouvoir y voir et la force et le courage, la bravoure, la virilité, l'assurance.... L'homme est taillé à la serpe et ce qui fait sa nuance c'est sa capacité à bondir ou pas, selon qu'il est plus ou moins fort, sur l'adversaire qui se dresse devant lui..... 

La femme au contraire nécessite une finesse extrême. Son corps est tout de courbes et de creux qui se soutiennent dans un jeux d'équilibre fragile. On doit y lire la subtilité, la grâce, quelque chose entre la douceur et l'élégance...  Elle ne peut être trop grande, pas plus que trop petite, ni trop maigre, ni trop forte, mais tout en proportion de sa tête à ses pieds, de face comme de profile. 

De l'homme trop gros, on dira qu'il est un bon vivant, de la grosse femme on dira autrement ! De l'homme grisonnant on prétendra qu'il a le charme de la cinquantaine, mais de sa compagne on pensera qu'elle a passé l'âge... Du poilu, quelle qu'en soit la nature, on retiendra ce côté sauvage-chic mais de la femme pileuse on ne voudra pas. Autant l'homme se doit d'être rugueux que madame se doit d'être lisse...

Oui, dessiner un homme me semble plus simple ! Tant son extérieur que son intérieur. Pour ce dernier, je crois, il suffit de retourner l'enveloppe...  Un cœur de pierre, des muscles d'acier, des yeux secs, un cerveau d'un seul bloc... feront l'affaire. Les sentiments y sont binaires,  les capacités monotâche, les actions liées aux muscles du dehors.... 

L'intérieur féminin est plus contrasté, hélas pour l'artiste, plein de circonvolutions difficiles à saisir. Tout y semble disproportionné, le cœur surtout tellement plus large que l'espace de ses bras qu'on se se demande bien comment il peut tenir au-dedans ! Elle sait être mère, épouse, cuisinière,.... tous talents bien ordonnés qui se complètent, admirablement administrés par un cerveau certes plus petit que celui de son compagnon mais tellement mieux agencé! Et ses actions semblent irrémédiablement liées à son cœur... 

L'homme est un ours dans une caverne et la femme une orchidée dans un vase de cristal...

Si Dieu et moi étions associés, nous nous serions partagé la création. J'aurais fait l'homme, il aurait fait la femme...

Il y a en elle tant de bonté, de douceur et de grâce que je crois  que c'est ce qui s'est vraiment passé... 

TGV Paris-Angers, le 29 avril 2021